5. Évaluation

Évaluation des compétences en modélisation:
objectifs, critères, outils et idées.

○      Objectifs d’apprentissage

■    Des objectifs centrés sur les contenus, les savoirs – la modélisation pour apprendre.

Une séquence basée sur des activités de modélisation peut viser des objectifs traditionnels centrés sur les savoirs acquis par les élèves (compréhension des phénomènes, usage de théorie et de concepts, maîtrise d’outils sémiotiques spécifiques, etc.). À condition de disposer de tâches suffisamment complexes pour discriminer les apprentissages plutôt en surface (appliquer une procédure apprise par coeur, utiliser des équations pour résoudre une question à partir de données numériques, etc.) d’apprentissages plus en profondeur (savoir mobiliser un concept en Physique pour répondre à une question ou résoudre un problème, articuler divers domaines de la physique pour aborder un phénomène complexe, etc.), centrer une séquence sur des activités de modélisation fournit aux élèves des opportunités de progression dans leurs savoirs disciplinaires, tant au niveau de la compréhension et de l’usage d’éléments théoriques qu’au niveau des procédures, que les activités de modélisation peuvent renforcer en déléguant aux élèves les microdécisions et leurs justifications, l’enseignant explicitant l’importance et les enjeux de ces décisions.

■    Des objectifs centrés sur les processus – la modélisation en tant que telle.

Une séquence centrée sur les activités de modélisation peut être l’occasion d’évaluer les élèves sur une dimension souvent peu représentée dans les mesures de leurs performances: le processus mis en oeuvre est suffisamment explicite pour fournir à l’évaluateur les indices d’une compétence. L’activité de modélisation se prête à l’évaluation de plusieurs processus:

–       la problématisation effectuée par les élèves à partir d’une question ou d’une situation-problème peut être évaluée, puisqu’elle est déléguée aux élèves, et que le modèle simplifié construit par les élèves fournit des indices explicites à son sujet. La consigne peut même insister sur ce point, exigeant des élèves une courte rédaction de leur raisonnement conduisant à poser le problème de la manière choisie, et décrivant le modèle simplifié.

–       l’usage des concepts et théories de la physique peut être évalué comme une compétence, si on examine la manière dont l’élève est passé d’un modèle simplifié à un modèle physique ancré dans les concepts de la discipline, c’est-à-dire faisant référence notamment aux grandeurs constituant les éléments de base d’une théorie. Le processus évalué à cette étape est une forme d’interprétation du problème ou de la question posée à l’aide de la théorie de référence et du langage spécifique sur lequel elle repose. En plus de termes, de concepts et de relations entre ces concepts, la théorie comprend souvent des outils sémiotiques spécifiques ou empruntés à d’autres disciplines (comme la “dérivée”, empruntée aux mathématiques) qui permettent effectivement d’interpréter la situation selon un cadre théorique particulier et connu pour permettre de résoudre certains problèmes.

–       la mathématisation du modèle construit par l’élève peut être évaluée indépendamment de la qualité du modèle lui-même, en prenant appui sur la manière dont l’élève est passé de son modèle physique à un modèle mathématique en y introduisant de manière pertinente et justifiée les relations mathématiques, les écritures conventionnelles, voire les représentations graphiques permettant de poser le problème ou la question et d’en construire une résolution littérale ou numérique. Une remarque s’impose: dans l’objectif d’évaluer les processus, ce n’est pas ici la qualité du modèle en tant que telle qui intéresse l’évaluateur, c’est-à-dire que par exemple il ne s’agit pas de juger du modèle mathématique construit par l’élève comme étant proche ou éloigné de celui d’un manuel de physique ou de la théorie considérée comme “correcte”. Dans une démarche centrée sur la modélisation, ce n’est pas l’exactitude de la réponse donnée à la question mais la manière dont l’élève est parvenu à s’appuyer sur des outils mathématiques pertinents pour le modèle qu’il a construit qui nous intéresse, puisqu’en choisissant d’évaluer les processus en jeu dans l’activité de modélisation, nous donnons la priorité à des activités permettant d’apprendre à faire de la physique plutôt qu’à connaître la physique établie par des auteurs choisis (qui constitue toujours, in fine, une simplification par rapport à la physique établie ou débattue au sein de la communauté des chercheurs contemporains).

–       l’articulation ou l’argumentation d’une réponse à la question posée. Lors de ce dernier processus, l’évaluation peut porter sur des arguments explicites si ceux-ci sont exigés par la consigne – bien que l’écriture d’une résolution mathématique puisse être considérée comme un argument d’un genre particulier – et elle sera aussi attentive à la manière dont l’élève est capable, en fin de processus, de reconstruire et d’expliciter le lien entre ce que le modèle mathématique (ou au moins physique) a permis de fournir en termes de réponse et le phénomène, la question ou la situation-problème telle qu’elle a été décrite avant de commencer, avant même d’entrer dans une démarche de modélisation. Ce processus d’argumentation et de mise en lien de la réponse issue du modèle avec la question initiale renseigne l’évaluateur sur le sens qu’a pris le modèle pour l’élève et, en définitive, sur la compétence de l’élève à utiliser le modèle en tant qu’outil de pensée (un apprentissage plus profond) plutôt que comme une simple procédure apprise par coeur qu’il ne s’est pas véritablement appropriée (apprentissage plus superficiel).

■    Des objectifs liés aux compétences transversales – la modélisation pour développer des compétences interdisciplinaires

Les activités de modélisation se prêtent également à des objectifs liés à ce que le PER (Plan d’Études Romand) nomme des “compétences transversales”, en particulier celles listées ci-dessous.

–       La collaboration: les activités de modélisation se prêtent bien au travail collaboratif et coopératif, car il s’agit de tâches complexes, sur des temps plutôt longs, et pour lesquelles une multiplicité des perspectives permet de meilleurs résultats. Les activités de modélisation permettent donc d’évaluer la manière dont les élèves parviennent à faire fonctionner leur collaboration, voire à leur donner des objectifs pour développer leurs compétences sociales.

–       La communication: les activités de modélisation en physique invitent à plus d’explicitation, que ce soit par des interactions entre pairs lors de moments de travail collaboratifs ou coopératifs, ou dans le rapport enseignant-élèves en mettant l’accent sur des tâches exigeant une rédaction ou une verbalisation orale des raisonnements, des prises de décisions, ou des justifications des choix opérés. Lorsque les élèves proposent ou discutent entre eux des modèles différents les uns des autres, cela peut être l’occasion de les faire dialoguer et de travailler à l’argumentation, un genre de communication parmi les plus exigeants, et essentiel à la construction des connaissances en sciences.

–       La pensée créatrice: la construction d’un modèle, la mobilisation des ressources théoriques en physique pour faire du modèle simplifié une représentation du problème ou de la question, constituent des activités de pensée divergente qui invitent les élèves à la créativité, à condition en tout cas que l’enseignant ne cadre pas les propositions des élèves vers la “(re-)découverte” du seul et unique bon modèle pour la tâche donnée, ce qui aurait pour conséquence de faire de l’activité de modélisation un pastiche. Avec un climat de classe ouvert à la diversité, valorisant les productions originales, les activités de modélisation peuvent encourager les élèves moins sûrs de leurs compétences scolaires à s’engager dans une pensée créatrice.

–       La démarche réflexive: la réflexion est importante tout au long de la modélisation, et intervient sous des formes différentes (cf, ci-dessus “objectifs liés à des processus”). Cela fait de la modélisation une activité exigeante au niveau cognitif, nécessitant concentration, énergie et investissement des élèves. L’enseignant peut décider de mettre en évidence les processus de réflexion en jeu, soulignant la diversité des modes de raisonnement impliqués par la démarche de modélisation: prises de décision pesant les avantages et désavantages de diverses manières de procéder, justification et argumentation d’une démarche, anticipation des choix, outillage sémiotique (dessins, croquis, langage mathématique, etc.) pour soutenir la réflexion, pensée représentative et interprétative pour maintenir le lien entre la question discutée et le modèle en cours de construction, mobilisation de procédures mathématiques à des fins précises, raisonnement analogique, etc.

○      Critère d’évaluation de la modélisation

■    Un modèle devrait être “aussi simple que possible, mais pas plus simple” (Einstein: “Everything should be made as simple as possible. But not simpler.”).

○      Voici un exemple de questions pour évaluer les compétences à modéliser en général. Les questions ont été organisées de la plus difficile à la plus facile. Dans le but d’une évaluation des compétences des élèves à la modélisation, nous suggérons de commencer par la question la plus difficile, en précisant aux élèves qu’ils ont le droit de demander “un indice” ou de poser une autre question s’ils se sentent bloqués. L’enseignant peut alors donner une question plus facile qui fonctionnera comme tremplin pour répondre à l’autre question, offrant à l’élève une question pertinente pour s’engager dans une activité de modélisation et attirant son attention sur les éléments auxquels il y a lieu de réfléchir.
Il est bien entendu également intéressant de donner ces questions l’une après l’autre aux élèves, pour une tâche d’évaluation plus facile, voire sans aucune évaluation.

■      Prérequis pour comprendre les questions posées:

●      principe zéro (définition phénoménologique de la température):
deux objets en contact thermique échangent de la chaleur si et seulement si leurs températures sont différentes ;

●      un thermomètre ne fait rien d’autre que mesurer sa propre température.

■      Prérequis pour “entrer en modélisation“ avec une “chance“ de réussite :

●      maîtriser la différence de statut entre les grandeurs physiques chaleur (extensive) et température (intensive), par exemple à l’aide de l’analogie des vases communicants.

■      Question difficile:

●      Un thermomètre placé au soleil et indique-t-il la température de l’air qui l’entoure ?

■      Question un peu moins difficile:

●      Un thermomètre placé au soleil et indiquant une température stable chauffe l’air qui l’entoure: vrai ou faux ?

●      Corrigé : le modèle analogique des vases communicants permet de répondre à ces deux questions en pointant très clairement le statut des énoncés: “évidence” (la température indiquée est inférieure à celle de la surface du Soleil); déduction (puisque le thermomètre indique une température stable et que celle-ci est inférieure à celle de la surface du Soleil, alors…); hypothèse (les échanges thermiques entre le thermomètre et d’autres objets que la surface du Soleil et l’air qui l’entoure sont négligeables).

■      Question de niveau moyen:

●      Au moment où un thermomètre médical fait bip, indique-t-il la température de ce qu’il touche (c’est-à-dire de ce qui est en contact thermique avec lui) ?

●      Corrigé : état stationnaire ; le thermomètre reçoit un flux de chaleur égal à celui qui’il émet. La réponse est donc non, en vertu du principe zéro.

■      Question relativement facile:

●      James Bond veut mesurer la température de l’eau contenue dans un dé à coudre pour les besoins de son enquête. Il plonge le thermomètre dans cette eau. Expliquez ce qui se passe…

■      Question facile:

●      James Bond veut mesurer la température de l’eau de sa piscine avant de piquer une tête. Il plonge le thermomètre dans l’eau. Expliquez ce qui se passe…

●      Corrigé : le principe zéro, appliqué à ces deux dernières situations à travers l’analogie des vases communicants, permet de comprendre que le thermomètre ne mesurera pas la température visée dans le cas du dé à coudre, alors que ce sera pratiquement le cas pour la piscine. La modélisation qu’offre l’analogie hydraulique conduit ici à une discussion critique du dispositif de mesure : peut-on négliger l’influence de l’instrument de mesure sur le système qu’on souhaite mesurer ? 

■      Question “basique“ (application directe des deux premiers prérequis):

●      À quelle condition un thermomètre indique-t-il la température de ce qu’il touche (c’est-à-dire de ce qui est en contact thermique avec lui) ?